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Entretien avec Farah Abdillahi Miguil

Je vous présente une longue entrevue que Farah abdillahi Miguil, secrétaire général du SYNEDED (l'irréductible Syndicat des enseignants du second degré) a accordé à l'organe de presse de l'IE (l'Internationale de l'Éducation). Voici le document publié avec la permission de Farah.
Bonne lecture



Article - Pays: Djibouti - Thème: Droits humains et syndicaux Djibouti:
Entretien avec un défenseur de l’autonomie des syndicats d’enseignants (13 mars 2012)


Farah Abdillah Miguil, Secrétaire général du Syndicat des enseignants du second degré (SYNESED), un des affiliés de l’IE à Djibouti représentait son syndicat lors du 6e Congrès mondial de l’IE, tenu au Cap, en Afrique du Sud, en juillet 2011. A cette occasion, il a pu développer lors d’un entretien ses vues de leader syndicaliste, défenseur des droits humains et syndicaux, sur la situation du secteur de l’éducation dans son pays et au plan mondial. Farah Abdillah Miguil, représentant le SYNESED lors du 6e Congrès mondial de l'IE au Cap, en Afrique du Sud

Peux-tu nous apporter un éclairage sur le fonctionnement du système éducatif à Djibouti (primaire, secondaire, supérieur)? Que peux- tu dire sur la qualité de l’éducation? Quelles améliorations peuvent être apportées?

Sous la colonisation

L’histoire de l’école djiboutienne a commencé avec la colonisation. Comme dans toutes les colonies françaises, c’était un programme strictement français. Ce programme était celui destiné aux petits français de la métropole, avec en plus une forte volonté d’assimilation et cela se faisait sans la moindre retenue. A cette époque, l’école était très sélective mais d’une qualité convenable en tout cas dans sa structure et les moyens à sa disposition.

L’école depuis l’indépendance

Puis l’indépendance arriva en juin 1977. Depuis, le contenu a peu évolué, mais la qualité s’est dégradée continuellement. Les programmes restaient alignés sur ceux de la France pour préserver la validité de plein droit du bac djiboutien en France.

Les Etats Généraux de l’Education Nationale

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la première réforme d’envergure qui date de 1999, avec l’organisation des Etats Généraux de l’Education Nationale.

Réformer l’école djiboutienne était une nécessité et une évidence. Malheureusement lors de ces assises de l’école, la communauté éducative (enseignantes et enseignants, parents d’élèves, …) a été marginalisée voire infantilisée pour étouffer toute forme de débat démocratique. Avec ces Etats généraux, le choix politique qui a prévalu a été de privilégier une éducation de masse, avec des choix pédagogiques à but commercial débouchant sur des voies sans issue.

Les seuls acquis avec la réforme restent l’accès et la fin du goulot d’étranglement, à savoir l’exclusion de la majorité d’une cohorte d’élèves en fin du primaire… Mais aujourd’hui, notre système éducatif n’a jamais été aussi malade.

Par ailleurs, nous assistons ces dernières années à la généralisation des fraudes massives lors des examens de fin d’année à tous les niveaux, n’en déplaise aux pouvoirs publics qui se réjouissent des résultats frauduleux.

Si les pouvoirs publics martèlent en permanence leur engagement dans l'éducation en mettant en avant l'augmentation du taux de scolarisation et d’admission, il n’en demeure pas moins que le délabrement du système éducatif djiboutien a atteint son paroxysme ces dernières années, malgré la réforme des Etats Généraux. La nouvelle approche par compétence a été généralisée dans le primaire et le moyen sans validation scientifique.

D’autre part, pour la première fois à Djibouti-Ville depuis quelques années, de nouveaux établissements construits récemment fonctionnent sans eau, sans électricité et sans toilettes. Du jamais vu! C’est un recul terrible.

L’enseignement supérieur, un chantier à peine entamé

Avant et après l’indépendance, l’enseignement supérieur se déroulait à l’étranger et en particulier en France. C’est à partir des débuts des années 1990 que des cours à distance ont démarré à Djibouti, avec la collaboration d’universités françaises. Et c’est en 2000 que le pôle universitaire a démarré, toujours avec la collaboration d’universités françaises. La création de l’Université de Djibouti est très récente et date de 2006. Elle oscille entre un manque d’infrastructures, de moyens et de pilotage…

Aujourd’hui, la qualité de notre éducation patauge entre la médiocrité et le manque total d’adéquation entre les formations et le marché du travail. La tension sociale que traverse le pays à l’heure actuelle est en partie liée à la faillite du système éducatif.

Améliorations possibles
  • Mettre plus de moyens en améliorant les conditions d’apprentissage des élèves;
  • Revaloriser la profession enseignante;
  • Renforcer la formation initiale et continue des enseignants, des conseillers pédagogiques, des inspecteurs;
  • Mettre  des outils pédagogiques adaptés;
  • Associer les enseignants à travers leurs organisations dans la prise de décision les concernant et/ou touchant l’école; et
  • Mettre en place un département d’évaluation.

Toutefois, ces mesures n’apporteront aucune amélioration si au préalable on ne met pas fin à l’impunité généralisée et aux passe-droits, et si la fonction enseignante n’est pas rendue apolitique et « atribale ». En effet, les promotions n’ont jamais été et ne sont toujours pas la conséquence du mérite. Elles obéissent plutôt à des critères tribaux, d’affinités, de proximité politique, voire de services rendus au parti au pouvoir, et cela a des conséquences terribles sur le moral des enseignants.

Peux- tu nous présenter le syndicalisme enseignant à Djibouti en général, et plus particulièrement le positionnement de ton syndicat, le SYNESED, dans ce mouvement? Quels sont les principaux combats du SYNESED en faveur de la condition enseignante?

La culture du syndicalisme est assez embryonnaire à Djibouti. Le parti unique et la pseudo-démocratie en vigueur depuis 1992 ont infantilisé les femmes et les hommes de ce pays. Après 34 ans d’indépendance, ceux qui siègent au Parlement n’ont jamais été élus mais simplement cooptés par le parti au pouvoir.

Le débat social n’est pas admis. Les partenaires sociaux ne sont pas considérés. C’est ainsi que les travailleurs se tournent vers d’autres structures de protection à savoir l’allégeance au parti au pouvoir, les cercles d’amis voire la tribu. Aujourd’hui, les multiples pressions sociales, familiales, tribales, etc. ont réussi à ce que nos compatriotes acceptent et intègrent le statu quo comme quelque chose d’immuable à laquelle ils ne pourront rien y changer. L’exil ou la soumission semblent être les seules voies possibles.

Paradoxalement, la culture syndicale à Djibouti a atteint son apogée avec les luttes pour l’indépendance. Mais malheureusement le parti unique postindépendance a phagocyté la seule centrale syndicale qui existait. Il a fini par contrôler celle-ci, profitant de la démission des citoyens qui considéraient l’indépendance comme l’ultime combat, oubliant par la même occasion que tout pouvoir est accapareur.

C’est avec l’adoption de la constitution de 1992 reconnaissant le pluralisme politique et syndical qu’émergent de nouvelles organisations de travailleurs libres et indépendantes. Le SYNESED et le Syndicat des Enseignants du Primaire (SEP) faisaient partie des premières organisations à se constituer en 1993. En 1995, le Gouvernement a mis en place le Programme d’ajustement structurel avec le Fonds monétaire international. C’est le début des contestations et des revendications. Le SYNESED et le SEP ont été le fer de lance de ces mouvements qui débouchaient souvent sur des grèves. En effet, une administration dépourvue de toute culture de dialogue et de négociation identifiait les syndicats à des forces d’oppositions qu’il fallait réduire vaille que vaille au silence. Durant cette période, le SYNESED a milité efficacement et activement contre la dégradation des conditions de travail, mais aussi contre celle du pouvoir d’achat des enseignants. La reconnaissance de leur organisation comme partenaire social reste toujours un objectif non négociable.

Malheureusement, les pouvoirs publics ont entamé en septembre 1995 une croisade contre les responsables syndicaux, pour ne pas dire une purge syndicale. C’est ainsi que la quasi-totalité des responsables de deux centrales syndicales du pays ont été licenciés. En février 1997, ce sont cinq responsables syndicaux du SYNESED qui ont été révoqués dans une parodie de conseil de discipline. Souleiman Ahmed Mohamed et Mariam Hassan Ali, deux anciens Secrétaires généraux du SYNESED, ne sont pas toujours réintégrés, avec tous les drames humains que cela implique. Pour le pouvoir en place, il fallait frapper fort pour décourager et anéantir à jamais toute velléité de revendication et de contestation. Pour les autorités de Djibouti, la mise en place d’une constitution pluraliste n’était qu’un leurre destiné à la consommation extérieure et qui ne devrait pas avoir des conséquences sur la vie des Djiboutiens.

Nos principaux combats ont été et sont:
  1. La reconnaissance de notre organisation comme un partenaire;
  2. De meilleures conditions pour un  travail décent;
  3. Le droit de choisir librement nos dirigeantes et dirigeants syndicaux;
  4. Le droit et la liberté de se réunir;
  5. Le droit à la négociation; et
  6. La réintégration de nos collègues révoqués injustement.

Les droits syndicaux sont des droits humains. Rencontres-tu des entraves à l’exercice du droit syndical à Djibouti? De quelle nature sont-elles?
  • Les entraves à l’exercice du droit syndical à Djibouti s’allongent jour après jour:
  • Interception du courrier de l’Union Djiboutienne du Travail (UDT), centrale syndicale indépendante;
  • Intimidations envers les syndicalistes;
  • Clonage syndical;
  • Harcèlement et arrestations des dirigeants syndicaux, et même des représentants de l’Organisation internationale du Travail (OIT), de la Confédération italienne des syndicats des travailleurs et de la Fédération internationale des droits de l’Homme, expulsés du pays en 2006;
  • Confiscation du siège de l’UDT en septembre 2011;
  • Diabolisation des organisations syndicales et de leurs dirigeants à travers les médias gouvernementaux;
  • Manifestations interdites, en violation de la constitution du pays;
  • Difficulté de se réunir sans intervention de la police politique; et
  • Remise en cause des droits fondamentaux de l’OIT par le nouveau Code du Travail de 2006.
Comme la majorité des responsables syndicaux de mon pays je suis victime d’un terrorisme administratif à savoir, des mutations sanctions, des arrestations, des interrogatoires, et des placements dans des « voies de garage », etc. Par exemple, en mai 2007, j’ai été arrêté à mon lieu de travail par deux agents du Service de Documentation et de Sécurité, sorte de police politique, pour être interrogé durant une heure dans leurs locaux. Mon crime était d’avoir envoyé une lettre d’invitation à une délégation de l’IE composée de Dominique Marlet, Coordinatrice senior de l’Unité des droits humains et syndicaux et de l’égalité de l’IE, et Assibi Napoe, Coordinatrice régionale principale du Bureau Afrique de l’IE. Les deux ont vu leur demande de visa refusée.

La frilosité du pouvoir reste intacte face à l’expression du syndicalisme libre. Et au jour d’aujourd‘hui, aucune expression libre n’est possible par peur des foudres du gouvernement. La Ligue Djiboutienne des Droits Humains, dirigée par Jean-Paul Noel, est la seule association qui, malgré les multiples arrestations et emprisonnements de son Président, continue à dénoncer les violations quotidiennes du pouvoir en place.

De quelle façon l’IE  peut- elle apporter, à toi et ton syndicat, une aide efficace?

Face à l’ostracisme et aux pressions multiples, beaucoup de nos collègues ont fait le choix de l’exil. Ils ont préféré les déchirements et les souffrances de l’exil au viol de leur conscience. L’arrachement de leur pays et ceux qu’ils aimaient leur a été imposé. Pour ceux qui sont restés, ils se sont alors résolus à défendre le minimum par des actions non concertées, sans jamais désigner de représentants officiels, ni même de délégués pour des négociations éventuelles, pressenties d’avance et par expérience comme étant stériles et destinées à repérer les « têtes » à sacrifier. Cette stratégie aux conséquences désastreuses pour les élèves a aussi été déstabilisante pour le Pouvoir qui a fini par la décrier sans jamais accepter d’agir à la source du problème, à savoir la réintégration des victimes du syndicalisme et le respect des libertés syndicales de base. Aujourd’hui, les organisations syndicales sont vidées de leurs membres, car appartenir à un syndicat est une épée de Damoclès.

L’IE nous a apporté durant tout au long de notre combat pour nos droits une assistance de tous les instants et un soutien indéfectible. J’aimerais profiter de l’occasion pour remercier au nom de tous les enseignants djiboutiens le Secrétaire général de l’IE ainsi que tous les affiliés de l’IE pour leur soutien sans faille.

Aujourd’hui, le fonctionnement des organisations syndicales est paralysé. Vidées de leurs membres, la seule aide efficace à mon sens serait la formation, la formation et encore la formation des enseignantes et des enseignants sur leurs devoirs et leurs droits. Malheureusement le pouvoir n’acceptera ni la venue des membres de l’IE, ni la tenue de nos séminaires. Comme elle l’a toujours fait, nous demanderons à l’IE de servir de porte-voix des privations des droits des enseignants, pour que le monde entier sache que, quelque part dans une petite république appelée Djibouti, des femmes et des hommes sont privés de leurs droits les plus élémentaires. Pour nous, c’est un devoir moral de continuer à témoigner sur ce qui se passe dans notre pays. C’est une forme de résistance minimale que d’apporter ce témoignage.

Quel(s) type(s) de coopération envisagerais-tu avec des partenaires, membres de l’IE, pour développer ton syndicat?

Comme je viens de le dire, aucune aide ne sera ni efficace ni efficiente à l’heure actuelle. Toutefois, le moment venu, nous ferons appel à l’expérience voire à l’expertise de nos partenaires de l’IE pour construire une organisation libre, indépendante et démocratique.

La situation syndicale est très préoccupante, mais l’histoire récente nous enseigne que les choses peuvent aller vite, et même très vite. Nous avons vu ce qui s’est passé en Tunisie, en Egypte, ou en Lybie.

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