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Complainte d'une mère

À la source de ce court article, ce poème en somali m'a été envoyé via Facebook par un grand ami. Cette complainte d'une mère dépassée par les événements a de quoi déchirer le cœur à tous ceux et celles qui comprennent cette langue. Bien évidemment, celles et ceux comme moi qui, non seulement comprennent la langue mais aussi, et surtout, connaissent la problématique du déchirement de l'exode, pour l'avoir vécu et le vivent toujours, se sentent directement interpellés.



Je n'ai pas pu écouter cette complainte sans la partager et surtout, sans partager ma réaction par le biais du présent court article et ces quelques vers en somali (voir la section "Mes quelques vers sous forme de texte" en notes de bas de page). Malheureusement, il est difficile de bien transmettre un poème par écrit (car en langue somalie écrite,  les voyelles ne sont pas accentuées) par exemple, mudane (nin mudan) et mudane (nin la muday) ne peuvent être distingués que par le sens et le contexte!. C'est pour cela que j'ai joint le fichier audio-vidéo ci dessous. Quant à l'image qui illustre bien le thème de HOOYO, elle me vient d'Internet. Elle est maheureusemnt anonyme (copie d'une copie, elle-même copie d'une énième copie, sans doute). Que son propiétaire légitime me pardonne cet emprunt.

Pour m'entendre de vive-voix, cliquer sur l'image de la vignette ci-dessous. Vous ne parlez pas la langue soomaal? Consolation:  j'ai tenté de vous traduire l'intraduisible pour que vous me compreniez très sommairement. Pour ce faire, prière de vous rabattre sur la section intituléé "Traduction sommaire de mes vers en somali" en notes de bas de page.



Voilà pour le préambule et mes quelques vers en langue soomaal. Revenons maintenant à la plus grande problématique. Je vais juste ouvrir le sujet sans trop me prononcer de façon substantielle, par manque de temps. Qui sait? Peut être un jour, écrirai-je un article plus complet ou même un vrai gabay ou poème?

Un grand questionnement s'impose, en effet.


Qu'est-ce qui pousse de milliers de jeunes gens d'Afrique et d'ailleurs à se jeter quasiment à la mer? Qu'est-ce qui pousse des cadres diplômés et quelques fois même, des gens très aisés (économiquement) à vouloir tout laisser tomber (carrière, amis, famille, pays et souvenirs) et tenter leur chance, ailleurs? Le chômage? La misère? L'opportunisme? L'amour des néons?

On  a souvent tendance à réduire (volontairement?) la problématique de l'exode à la seule dimension économique. Certes, l'exode c'est la recherche d'une vie meilleure (économiquement) pour les uns, c'est aussi, la recherche d'une sécurité ou encore d'une terre promise, pour d'autres. Mais est-ce tout?

Il semble hélàs que même ceux qui ont défini l’exode comme «le nom donné à la fuite massive de populations civiles devant une guerre ou une catastrophe naturelle» (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Exode)  n'y ont vu que du feu! L'exode est un phénomène plus complexe et pour éviter que l'Afrique en général et la Corne en particulier ne se vide de sa population active, il faut avoir le courage de sortir la tête du sable et de traiter ce sujet avec autre chose que des barrières (errigées par des armées étrangères), des prières ou encore des complaintes. Il faut sensibiliser, certes, mais il faut bien plus. Oups! J'oubliais: j'ai promis, je devais laisser ce grand sujet, ouvert... Peut-être pour une autre fois, alors.

Cela dit, revenons à ce déchirant «hooyo»... En écoutant les mots de cette mère (Koos Jaamac Dhunkaal) avec en toile de fond, à travers la fenêtre de mon salon, les toutes premières couleurs de l'automne, je dois reconnaître que j'ai été envahi par des sentiments indescriptibles. Après cela, je n'ai pas pu m'empêcher de me questionner : Qui est le «Gaal», hooyo? Où est «la patrie», hooyo? Qui est ton «fils», hooyo?

A priori, posées de façon aussi simpliste, beaucoup de somalis n'auront aucune difficulté à répondre à ces questions et vont donc rire de moi. Mais dans les faits, chez nous, ces mêmes questions (posées différemment) à des gens nés pourtant dans le même village ne donneront presque jamais les mêmes réponses au sujet du «Gaal», de la patrie et de la filiation. Autrement dit, chacun attribue un sens très circonstancié à ces concepts, raison de s'y attarder et de se questionner dessus!

a) Qui est le «Gaal»?


Le «Gaal», n'est-ce pas le nom musulman (avec plus ou moins de nuances et de distance) par rapport à un NOUS qui n'est pas, lui non plus, clairement défini!? Le «Gaal» n'est-ce celui qu'on accuse de tous nos maux mais en même celui à qui on va demander de les régler? C'est malheureusement comme ça. Quand nous avons un problème, nos dirigeants (et notre élite) prennent toujours un micro pour implorer la «communauté internationale» de nous apporter une «aide humanitaire» «d'urgence».  «Communauté internationale», «aide humanitaire»,  «urgence»... voilà trois expressions synonymes d'Afrique et... de terre soomaale. C'est malheureusement comme ça. La malaria, le choléra, l'Ébola ont comme dénominateur commun l'insalubrité et qui va s'en occuper en premier chef? Et la faim? Et la guerre? Et le chômage? Et l'insécurité? Et la prostitution? Ces problèmes-là et tous nos maux ont aussi un dénominateur commun. Qi va s'en occuper?..  Et... le «Gaal» dans tout ça... Sauveur ou source de maux?  'Faudrait choisir, une fois pour toute. Je vous laisse méditer là-dessus.

b) Qui est le fils de qui?


Suis-je le fils de mon père OU le fils de ma mère? Une autre question risible, n'est-ce pas? Car en toute normalité, un être saint d'esprit doit être issu et donc le fils de sa mère ET de son père! Je sais que certains n'ont jamais eu la chance de connaître leurs deux parents (orphelins, enfants abandonnés, etc.) mais ceux-là ne sont ni la majorité, ni la cause de problèmes graves. En terre soomaale, parmi les «ilma Hebel» qui est saint d'esprit? Qui ne jure pas que par «aabahay goblan, haddanan...»? En définitive, qui est le fils de qui? Je vous laisse méditer là-dessus.

c) Le troisième et dernier questionnement s'adresse à toutes les hooyo-soomaal et à ses enfants: qui est ton fils, hooyo?


Celui qui t'envoie travailler pour se payer sa botte de Khat? Cet autre qui chasse les fils d'autres hooyo et ne vit que de rapine, de vol et de viol mais (des fois) te couvre d'or pour s'acheter une conscience? Ou encore... Ce dernier qui se jette à la mer pour ne pas que tu puisses le voir se consumer à petit feu car il se sent étranger chez lui?  Selon moi, hooyo, tu devrais plus être juste et ne plus choisir toujours inconditionnellement, ton «fils», au détriment de ta fille car il me semble que cette injustice est peut être la source originelle de notre perdition collective qui, je le sais,  t’afflige. Que dis-je, hooyo, NOUS afflige, tant.Ton fils ne mérite pas plus que ta fille, hooyo...

Pardon, hooyo, je me suis laissé emporter par l'émotion, je devrais sans doute ne pas te juger. Je me reprends et je m'incline bien bas devant toi, hooyo. Personne n'a le droit de te contrarier, hooyo, à l’exception, bien sûr, de ton Créateur, Hooyo.

Jikaarnimadu ma fiicne e, hooyo,
Hadal waxaan ku soo jaray, hooyo,
Janaan kuu baryaa Eebe!

Hassan A. Aden
hassan.aden@ncf.ca
hassan.aden@halearningtech.comTraduction sommaire de mes vers en somali


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Mes quelques vers sous forme de texte
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…/...

Wiilkaa waa qabiilayste e, hooyo,
Qaran-dumiye weeyaan hooyo,
Qaad uun buu cunaa, hooyo,
Naar-quute weeyaan, hooyo,
Quudarru ku noolyahay, hooyo,
Qabiilbaa kitaab u ah, hooyo,
Abtigii buu qalay, hooyo.

Qoolaab waa la dilayoo, hooyo,
Qumane-na huleelyoo, hooyo
Qaalib-na hallawye e, hooyo,
Qalbigaa ka masax oo, hooyo,
Quus Allah kuma badine e, hooyo,
Inantaada Qoran iyo hooyo,
Korso Qaafo-Yerey, hooyo!

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Traduction sommaire de mes vers en somali
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To fils est «tribaliste», hooyo (1),
Un destructeur, un claniste, hooyo,
Il mâchouille le khat (2), hooyo,
Et il fume le «shit'» (3), hooyo,
Il se nourrit de parasitisme, hooyo,
Son Coran est Tribalisme, hooyo,
Et son abti (4), il dépèce!

Qoolab (5) fut tué, hooyo,
Et Qumane (5) n'est plus, hooyo,
Et Qaalib (5) a disparu, hooyo
Allah t'a comblée, hoyo
Efface-les de ton cœur, hooyo,
Pense à Qoran (6), ta fille, hooyo
Et à Qaafo-Yerey (6), hooyo.

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Autres notes pour mieux comprendre mon article
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(1) Hooyo : Littérallement, «mère» et «maman» à la fois, en somali. Avec une précision, il n'y a pas que la fille ou le fils qui va dire Hooyo à sa mère mais... la mère elle-même va utiliser ce mot pour s'adresser à ses enfants des deux sexes.
Exemple :
l'enfant : «hooyo maad, joogtaa?» (maman, es-tu là)
la mère : «haa, hooyo» (oui, mon fils/ma fille).

(2) Khat  (ou Jaad ou encore Qaad): Le khat, qat ou kat, est un arbuste ou arbrisseau (une sorte de fusain) de la famille des Célastracées, originaire d'Éthiopie (pour plus d'info, cliquer ici) Source :http://fr.wikipedia.org/wiki/Khat_(botanique)

(3) Shit : un nom de la culture pop donné au haschisch et aux drogues fumées par extension. Comme les autres, ce vocbale juste choisi pour rimer... (source: http://fr.wikipedia.org/wiki/Shit)

(4) Abti : oncle maternel (le frère de hooyo) en langue somaali.

(5) Qoolab, Qumane et Qaalib sont des prénoms masculins

(6) et, Qoran et Qaafo sont des prénoms féminins («Yerey» étant un suffixe un dimunitif féminin). Ces pronoms ont été choisis par des considérations liées à la rime et nom pour la signification qu'ils peuvent avoir. J'emploie aussi le terme tribaliste (qui un sens trop coloré de racisme, à mon sens) par pure paresse.

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