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Djibouti: Education Nationale (part. 5)


C'est connu, un syndicat a un seul moyen de pression: la grève. Hélas devant l'intransigeance des autorités de l'époque, le maître djiboutien n'avait d'autre choix que d'utiliser ce moyen de pression qu'est la grève.

C'est seulement après que la première menace de grève commence à gronder que les djiboutiens réalisent que l'école est en crise. Le gouvernement, voyant que la situation risque de déraper, trouve alors une parade imparable: comme il fallait s'y attendre, il tribalise le problème au lieu d'y faire face. Il fait circuler des rumeurs. Des rumeurs selon lesquelles des “étrangers à la solde de la France étaient en train de saborder notre école”, Ces rumeurs circulaient de bouche à oreilles.

Ces étrangers à la tête du système à qui ont fait allusion étaient surtout Souleiman Farah Lodon, ministre d'alors, Aidid Aden Guédi, Directeur Général et, quelques autres chefs de service et chef d'établissements scolaires primaires et secondaires. En fait, c'était un fait avéré que l'Éducation nationale était le ministère qui employait la plus grande concentration de personnel non issa ou afar! C'était un fait avéré que, du haut responsable, aux simples employés, ceux que certains appelaient les “allogènes” étaient légion à l'éducation nationale. Toutefois, je serais étonné que ces derniers formaient une majorité absolu dans les années 90... En tout cas, c'est sur ce constat à priori que vient l'emploi par certains du terme “étrangers” et ce constat à priori qui était l'argument de base des tenants de la campagne “nationalisation” de ce ministère.

C'est dans ce contexte que Hassan Gouled (AHN) fait alors un remaniement ministériel. Il donne le portefeuille de l'Éducation Nationale à un “fils du pays”. Le flamboyant “curad ciise” Omar Chirdon Abbass est nommé ministre de l'Éducation Nationale pour “nettoyer” et “nationaliser” ce ministère! Je me rappelle ses premiers jours! Il avait le port d'un conquistador espagnol dans un village indien. Toute une image!

Première mesure de ce programme de nationalisation, Omar Chirdon, se débarrasse de l'encombrant Adid Aden, son No2. Il le remplace par Abdi Elmi Achkir, un homme humble, simple, discret. Un homme sans fracas et sans histoires. Un homme à qui il faut reconnaître le mérite rare d'être très honnête! Omar Chirdon nomme aussi plusieurs conseillers au bureau de la planification. Parmi ceux-là, Ali Farah Assoweh, l'actuel ministre des finances!

C'est presque tout ce qu'il a pu changer! Hélas pour les tenants de la nationalisation, Omar Chirdon n'a pas pu faire de miracle ni même, le changement attendu. Résultat: il n'y a eu, ni révolution, ni “nationalisation”, ni “nettoyage”. Il n'a pas pu faire la chasse aux sorcière, à grand déploiement que certains attendaient. Too bad!

Après avoir marqué son territoire (il a placé quelques proches) le ministre se case comme tout le monde pour préserver son portefeuille et, autour de lui, tout le monde s'adapte et s'ajuste. Et, la nature (du système) reprend ses droits. Derrière l'écran, la Mission française de coopération et d'action culturelle reprend le contrôle des marionnettes et sur la scène, le ballet reprend de plus belle, sa chorégraphie de routine.

Alors, Omar Chirdon et son DGEN Abdi Elmi Achkir tombent doucement en disgrâce. Ne sont-ils pas le premier un Wiil Moussa, proche de Guédi-et-consort et l'autre un Fourlaba, cousin de Mohamed Djama Élabé (AHN)? Des proches de Guédi et de Élabé? Il y en sûrement un qui disait "Ma anaan garan geela doofaarku laayay!"

En effet, quand on est un prétendant (qui a planifiée son coup dans l'ombre depuis longtemps), qu'est-ce qu'il faut attendre des proches d'un Guédi et d'un Élabé tous les deux sérieux prétendants pour ravir le trône à la dynastie mamassane? Un “vil Moussa” et un “Fourre là-bas”? Anaayooy ku baadhi! Ça ne sentait rien de bon (pour le grand barbouze et les insiders de La Maison).

Au pays, en règle générale, plus la crise politique et la crise économique s'accentuaient, plus le régime de Gouled se durcissait en restreignant le cercle de personnes “de confiance” autour d'IOG! Mais, il ne faut pas se fier aux apparences. À l'époque, IOG n'avait pas l'exclusivité de la confiance de Gouled. Pour acquérir ce monopole, le chef de la sécurité avait besoin que la crise perdure. Il ne manquait donc pas une occasion pour l'alimenter, l'amplifier, l'orienter... Pour cela, il filtrait l'information qui entrait ainsi que celle qui sortait du bureau de son oncle, dans les deux sens. Il s'en servait pour récompenser ses fidèles et discréditer (ou faire disparaître, selon le cas) tous ceux qui pouvaient présenter un obstacle à son ascension. Eh oui! C'est aussi simple que ça. En temps de crise, tout pouvoir est à la merci de ceux qui le renseignent et ces derniers hésitent rarement à le manipuler à leur avantage. Ces années-là, IOG dans son cas, y est allé de main de maître!

À l'Éducation nationale, Omar Chirdon et Abdi Ashkir sont le premier à goûter à la raclée. Chirdon est remplacé par Ahmed Guirreh Wabéri alias Raphaël, un simple douanier de son état. Pour le régime, la nomination de ce dernier au portefeuille de l'Éducation nationale présentait un triple avantage:
  • Un Wiil Moussa remplaçait un Wiil Moussa (sur le papier, l'équilibre du pouvoir entre les issas était sauf) en plus,
  • Ahmed Guirreh appartenait à “La maison” (pour être marié à la nièce de président Gouled), enfin...
  • Ahmed Guirreh était un homme humble et sans histoire et surtout, sans aucune prétention du pouvoir suprême malgré sa proximité du sommet.

Malheureusement pour lui, Guirreh était arrivé comme ministre au pire moment: la grève était quasi quotidienne. Abdi Elmi Achkir, le DGEN, est remplacé dans son cas par Abdoulkarim Niazi, un "Jack of all trade" sans conviction, ni état d'âme. On a aussi crée deux postes de Directeur Général Adjoint : un administratif et un pédagogique. Guirreh nomme aussi Awad Sikié, un proche cousin, ancien policier, radié de la fonction publique par le général Yassin Yabé Galab (AHN) au poste de chef du personnel et du matériel.

Eh oui! Chef du service du personnel et du matériel. Le ridicule ne tue pas! La même personne qui gérait les dossiers des professeurs djiboutiens s'occupait aussi de la distribution des balais, des serpillières, des seaux, etc. Vive la réforme!

Au plus fort de la crise, le pauvre Guirreh totalement dépassé par les événements monte au créneau. À une heure de grande audience, il paraît à la télé. Il dresse un tableau de la situation et prononce ce mots mémorables : “....je reprendrais tout à ces “saboteurs” (les maîtres du pays): les bons salaires, les logements gratuits, et mêmes les (*)“chaises” (le mobilier). Il annonce ensuite “des mesures” pour remédier à la crise. À l'instar de l'armée, il décrète la “mobilisation des forces vives de la nation” pour sauver l'école, “notre école”. “Tout citoyen sachant lire et écrire peut enseigner à nos enfants du primaire” annonçait-il les yeux un peu hagards. Toute une image!

Les jours qui ont suivi cette annonce, des camions, des bus, des camionnettes et toute sorte de véhicule en provenance de tous les coins du pays et transportant tous ceux elles en mesure de baragouiner ou griffonner quelque chose en français commencèrent à déverser une véritable marrée humaine dans l'enceinte de la Direction générale de l'Éducation Nationale (située dans le temps au Boulevard de Gaulle, en face du Lycée) et dans celle du Service du 1er degré de l'éducation nationale (situé en face du palais de justice). Le système fut submergé à un point tel que l'épouse du ministre, nièce du président Gouled et ses proches, prenaient, en personne, les inscriptions.

De véritables cortèges affluaient vers ces 2 lieux avec, souvent à leurs têtes, tout ce que le pays avait de notables proches du régime, mais aussi, de députés et de ministres en quête de prouver leur allégence au nouveau pôle du pouvoir: IOG. La plupart des candidats "mobilisée" étaient simplement des jeunes chômeurs en quête d'un premier emploi. Mais, certains étaient là avec le vrai sentiment de participer à la “nationalisation finale et définitive” de ce dernier bastion.

La première vague de ces «mobs» a même reçu des affectations dans les école primaires. Heureusement, les parents refusèrent de confier leurs progénitures à ces gens sans qualification et arrêtèrent purement et simplement de les envoyer à l'école. Cette pression mit un terme à tout le cirque!

Pour bien comprendre cette période riche en couleurs, je vous invite à consulter les bulletins d'information des syndicats SEP et SYNESED de l'époque. J'ai commencé à les mettre en ligne dans la section “archives” du nouveau site djinoutii.net (http://www.djiboutii.net/Djiboutii_archives/default.htm).

En conclusion, mon artice précédant, finissait avec une note d'espoir. Je vous disais que le maître djiboutien était de la fronde. De même, je vous disais que la naissance des syndicats SEP et SYNESED était porteuse d'espoir pour le maître et par voie de conséquence, pour l'école et la société djiboutienne toute entière.

Hélàs le rêve et l'espoir furent de courte durée. Le retour à la réalité fut brutal. La tribalisation par le régime (arme fatale qu'il sait manier avec maestria) a sonné le glas de tout espoir. Cette campagne de “nationalisation” et ses mesures comme la mobilisation ont sonné le glas de la rationalité. Encore une fois, le camp du ridicule avait gagné et, celui de la raison, battu en retraite. À l'instar de cette fameuse statue de Saddam Houssein, le maître djiboutien était définitivement tombé de son socle. “Qudunquutooy ku quusqaado, qayrkaana, ugu wargee”.

Aujourd'hui, nous venons de fêter en pompes le 10ème anniversaire des états généraux de l'Éducation avec chants, danses, défilés, mouvements d'ensemble, etc. Tout cela est la façade pour masquer les ruines de système. De nos jours, les GI's américains ou les légionnaires français en vadrouille dans tout le territoire national, réhabilitent et restaurent, ça et là, une école (voir photo). Notre école est maintenue par les œuvres de charité des troupes étrangères, les organisations internationales, les ambassades de la place, etc. Pendant ce temps, les affaires sont florissantes à l'école privée du ministre de tutelle. Ce copain de sa majesté présidentielle IOG, a baptisé «Guelleh Batal», son école privé .

Alors quoi? me direz-vous. Où est le problème? Le problème est que nos sens ont cessé de réagir à de telles pratiques. Il est là, le problème. “Qudunquutooy ku quusqaado, qayrkaana, ugu wargee”.

Épilogue: Le présent article met un terme (provisoirement?) à ma série sur l'Éducation. Je suis en contact avec des hommes et des femmes qui étaient des acteurs de premières lignes lors de cette crise. Si tout va bien, je donnerai la parole à ces acteurs. Je vais aussi publier bientôt d'autres documents d'archives.

Hassan A. Aden
hassan.aden@ncf.ca

(*) Il parlait des chaises. “Kuraasidana xiitaa, waan ka qaadan” disait-il (allusion au mobilier) pensant que les enseignants bénéficiaient du mobilier gratuit, en plus des “bons” salaires et du logement. Il faut noter que pendant la période coloniale, les enseignants avaient droit en effet au mobilier gratuit. Toutefois, cet avantage acquis a été aboli au lendemain de l'indépendance. Cependant, le mythe qui voulait que le maître djiboutien était un allogène privilégié (et ingrat) était, lui, resté. Ce mythe à la peau dure était sûrment celui qui a fait dire au ministre, cette déclaration saugrenue.

Commentaires

  1. salam

    bravo pour ton analyse du système éducatif djiboutien, certaines choses sont claires imika pour moi en tout.lakine dee une chose: parait que souleiman farah london etait un vrai tribaliste puisque on a decouvert que la majeure partie des postes de directeurs d'école etaient tenus par des gadas. qu'en dites vous de cela?

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