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L’attentat du Café de Paris: Chonologie des événements

Le jeudi 27 septembre 1990, vers 19heures, 4 hommes arrêtent un taxi pour demander au chauffeur de les conduire au lieu dit «Jaman-Cas»* où ils auraient un véhicule en panne. Arrivé à destination, le conducteur est purement et simplement ligoté par les 4 passagers. Ce n’est pas tout: son véhicule fut volé par les 4 malfaiteurs. Le chauffeur, «Carrabloo» de son surnom est donc laissé attaché, là-bas.

Aux environs de 21 heures, l’attentat du Café de Paris est commis. Plusieurs dizaines de personnes (essentiellement française) sont blessées à des degrés plus ou moins grave et deux enfants innocents y perdent la vie: un petit cireur de chaussures djiboutien et un petit français. Selon les premiers témoignages, ceux qui ont commis cet acte à la fois lâche et ignoble, «ont lancé plusieurs grenades et pris la fuite à bord d’un taxi». Ces premiers témoins avaient donné une description sommaire du véhicule et des ses 4 occupants. «Une recherche» est lancée…

Autour de 20 heures et 30 minutes, «Carrabloo», le chauffeur de taxi, arrive à se défaire partiellement de ses attaches et se traîne tant bien que mal jusqu’à la route. Là, il arrête un véhicule en provenance d’Arta (et en route vers Djibouti-ville). Chose importante à souligner pour la suite de cette affaire, ce véhicule était conduit par un français. Le chauffeur de taxi se dégage du reste des attaches avec l’aide de son samaritain français et puis, lui demande de le conduire à la brigade de la Gendarmerie d’Ambouli (la plus proche du lieu du crime) pour faire la déclaration du vol de son véhicule et une plainte pour tout ce qui lui est arrivé.

Contre à toute attente, le chauffeur de taxi, pauvre victime s’il en est, est alors arrêté (vous aurez compris que le fameux taxi recherché, était le sien). De victime et témoin, le pauvre homme passe à suspect numéro un en quelques heures. Il fut placé en garde à vue et soumis à la torture du sinistre adjudant Haïbano et de ses sbires (pour lui soutirer vaille que vaille des aveux de culpabilité).

Du 27 septembre au 1er octobre 1990, ce chauffeur de taxi infortuné était la seule personne détenue relativement à cette affaire. Mais le silence du régime était lourd. Très lourd. Tout le monde sentait qu’il se préparait quelque chose. En fait, il se préparait le montage et la mise en scène de «la piste gadabourci» dans les coulisse du pouvoir. IOG (actuel président et chef de la police politique de son oncle Gouled à l’époque) et ses hommes de main étaient à pied d’œuvre pour monter de toute pièce un scénario «vendable» autour de cette «piste gadabourci» fabriquée de toute pièce.

Du 1er au 10 octobre 1990, le sud-est du pays et surtout, la capitale connurent une série de rafles massives, rivalisant en cruauté avec le style de la Gestapo. Par milliers, la population gadabourci de Djibouti-ville mais aussi du reste du pays (notamment, toute la région frontalière avec la Somalie) était arrêtée en masse puis triée comme du bétail dans les différents commissariats de la police, les différentes brigades de la gendarmerie et surtout, dans le sinistre «centre de transit» de Nagad (jeunes, femmes, vieillards, commerçants, fonctionnaires, hommes en uniforme, etc. Les gens étaient arrêtés sans distinction d’âge, de sexe, de statut social de santé physique ou mentale.

La grande majorité des victimes de ce véritable nettoyage ethnique, ceux et celles qu’on appelle communément les «sans-papiers», étaient purement et simplement gardées pendant plusieurs jours sans manger, puis dépouillées de toutes leurs possessions pour être enfin déportées à Guestir (un lieu-dit frontalier avec la Somalie et l’Éthiopie) où le régime de Gouled Guelleh et son neveux chef de la police politique Ismaël Omar Guelleh entretenaient une milice. Cette milice** s’occupait du sale boulot, loin des caméras et de l’opinion publique (viols, assassinat, torture, travaux forcés, etc.)

Mais ce n’est pas tout. 232 personnes (citoyens djiboutiens et bien connues pour la plupart!) furent soigneusement triées sur le volet et gardées à vue puis déférées à la sinistre prison de Gabode sous mandat de dépôt, c’est à dire sans jugement. Parmi ces personnes ont peut compter:

  1. Ali «Diig», fonctionnaire senoir et activiste politique des anneés 70 (vivant actuellement à Ottawa),
  2. Abdi Ali Diig, fils de Ali Diig,
  3. L’épouse de Ali Diig,
  4. Hassan Mahamoud Bock (co-propriétaire du fameux restaurant «La Mer Rouge»)
  5. Badri Houssein Adar, fils du commerçant «Babanos»,
  6. Mohamed Omar «Turjubaan», haut cadre du ministère des finances (qui était en France le soir de l’attentat)
  7. Mahad «Cadib» (AHUN) couturier célèbre et riche propriétaire de plusieurs magasins de vêtements (aujourd’hui, décédé),
  8. «Cawlo» Ali (AHUN) cadre à la banque BIS-MR (aujourd’hui, décédé),
  9. Djibril Mohamoud «Shanle», jeune enseignant à l’époque,
  10. Aden H.Aïnan «Adan-Caddé», instituteur à l’École du Quartier 5
  11. Youssouf Ali Qalib, gardien de l’École du Q5 (aujourd’hui, décédé)
  12. Awaleh «Fujaan» (qui avait présenté un long témoignage à au journal «Horizon» avant de s’exiler au Yémen,
  13. Said «Weyrax», fils d’un menuisier très connu dans le temps au Q.5,
  14. Ilyas «Ha Dakhlayso», chauffeur de poids-lourd,
  15. Faïçal Abdi Rabileh «Xarago»
  16. «Carabloo», le chauffeur de Taxi
  17. 217 autres personnes dont nous n’avons pas le nom (archives en cours de tri et conversion)

Ces 232 personnes étaient systématiquement torturées de façon sauvage et dégradante «aux 3 repas» c’est à dire matin, midi et soir et ce… pendant 10 jours d’affilé. Certains ont gardé des séquelles graves et permanentes (incontinence, stérilité, perte totale ou partielle de l’usage d’un organe, etc.)

À partir du 11éme jour, on a commencé à libérer petit à petit et sans aucune explication, la grande majorité des détenus.

Cependant, 23 personnes, pour la plupart grands commerçants ou hauts cadres de la fonction publique ou du secteur privés, ont été gradée en détention et déférées au parquet. 19 pour «complot terroriste» et 4 pour «pour attentat terroriste ayant causé la mort, des blessures et des dégâts matériels». Un dossier d’instruction est ouvert au tribunal de Djibouti qui décide de garder à vue tous ces innocents, sans procès à la prison de Gabode.

En décembre 1990, après deux mois de détention et plusieurs centaines milliers de francs en frais d’avocat et autant en pot de vin et autre bakchich, Badri Babanos, Ali Diig et Hassan Mahamoud Bock obtiennent une liberté provisoire. Puis suivent les autres accusés du groupe des 19.

En janvier 1991, le groupe des 4 (Said «Weyrax», Ilyas «Ha Dakhlayso», Faïçal Abdi Rabileh «Xarago», et «Carab-loo» le chauffeur de Taxi), qui étaient formellement accusés d’être les 4 terroristes, sont relâchés pour non-lieu!

Cette affaire a connu un tel dénouement grâce au témoignage du sainmaritain français qui avait aidé le chauffeur de taxi à se défaire des attaches et à revenir à la capitale pour signaler le vol de son véhicule par 4 individus.

Parce que cette affaire visait des français, les autorités françaises, après avoir mené leur propre enquête, ont vite compris la supercherie. Cela a aidé beaucoup dans cette affaire. N’eut été ce témoin providentiel qui a témoigne auprès du «Prévoté» (service de gendarmerie française à Djibouti) les choses auraient surement pris une toute autre tournure…

En tout cas, après ce non-lieu, la plupart des victimes ont porté plainte pour séquestration, torture physique et morale, perte de revenu, etc. au tribunal de Djibouti. Un seul, Said Weyrah a obtenu une réparation matérielle symbolique de 4,7 million de DJF (soit environ US$ 26.500) les autres, ceux qui n’ont pas pu quitter le pays ou qui ne sont pas simplement morts dans la misère totale depuis le temps, errent encore dans les couloirs du «Palais de justice» avec, sous le bras, un dossier terni par le temps et les éléments. Ils attendent justice…

Le dernier et non le moindre «Carrab-loo», l’infortuné chauffeur de taxi, suite à cette torture sauvage a perdu un œil. Il est aujourd’hui borgne et sans revenu.

Aujourd’hui, 4 autres personnes sont formellement accusées d’être les auteurs de cet l’attentat lâche et du vol du taxi** (s’agit-il des vrais coupables ou d’autres boucs émissaires en lieu et place du vrai commanditaire, Ismaël Omar Guelleh? L’histoire le dira. Voici leurs noms :

  1. Awaleh Guelleh, «évadé» de la prison de Gabode quelques semaines avant l’attentat et assassiné plus des années après l’attentat par les services secrets djiboutiens en Éthiopie (sans doute pour l’en pêcher de témoigner).
  2. Mohamed Ali Arretey, condamné à six (6) ans de prison ferme en 2001,
  3. Mohamed Hassan Farah, ex-policier ayant fait évader Awaleh Guelleh, lui aussi condamné à Djibouti à huit (8) ans de prison ferme en 2001, et,
  4. Abdi Bouh Aden, condamné à huit (8) ans de prison ferme en même temps que les 2 autres.

Le cercle des commanditaires:

  1. Hassan Gouled Aptidon, l’ex-”président” de République de Djibouti (aujourd’hui, décédé)
  2. Ismaël Omar Guelleh, chef de la sécurité intérieure et extérieure du régime dictatorial de son oncle Gouled et actuel ”président” de la république de Djibouti.

Le cercle des complices et des bourreaux notoires (liste non exhaustive):

  1. Le Général Zakaria Cheik Ibrahim, cousin du régime et vrai numéro 1 de l’armée.
  2. Le commissaire Awad Sikieh, chef du commissariat central de la police nationale, (aujourd’hui conseiller technique (parachuté) du Ministre de l’éducation nationale),
  3. L’adjudant Tané, cousin du régime et chef très zélé de la sinistre brigade de la gendarmerie des quartiers 3 et 5 (de l’époque).
  4. L’adjudant Haibano, chef de la sinistre brigade de la gendarmerie d’Ambouli (de l’époque),
  5. L‘adjudant Elmi F. Habané, superviseur en chef des opérations de torture (de l’époque).

Épilogue : 21 ans après, ce dossier n’est pas vraiment clos. La listes des victimes continue de s’allonger. La plupart des témoins ayant des problèmes de conscience et les fouineurs ou les indiscrets sont systématiquement éliminés. Bernard Borrel, un juge français ayant mis son nez dans cette affaire, disparaît à Djibouti le 18 octobre 1995.

De nombreuses archives sont disponibles ça et là. Des journaux comme « La lettre de l’Océan Indien » ou « Paris Match », entre autre, ont publié plusieurs dossiers à l’époque. Des agences gouvernementales tierces possèdent, elles aussi, une quantité d’archives qui traitent de cette affaire (France, Belgique, Canada, USA, etc.). D’autres sites comme djiboutii.net, ardhd.org ou le journal Réalité de l’ARD contiennent plusieurs documents qui touche de près ou de loin à cette affaire.

In fine, ce dossier ne sera vraiment clos que le jour où Ismaël Omar Guelleh passera devant un juge impartial.

Témoignages recueillis par
Hassan A. Aden

* «Jaman-Cas» c’est tout le secteur entre le PK10 et le PK12. Ce secteur densément peuplé était dans le temps vide.

** J’ai pu recueillir en 1990 le témoignage d’une jeune fille qui travaillait comme domestique chez moi. Elle m’a tout raconté une semaine après sa capture. Elle m’a raconté comment sa vie et celles de ses compagnons de misère (et congénères) fut sauvé des milices d’IOG par «Jidhif» un officier du mouvement rebel, SNM et ses hommes. SNM (source : Wikipédia) = Le Somali National Movement (somali : Dhaq dhaqaaqa wadaniga soomaliyeed, en français: « Mouvement national somalien », SNM) est une organisation politico-militaire somalienne fondée en avril 1981 à Londres, au Royaume-Uni. Opposé d’abord au régime de Siyaad Barre, le SNM prend une orientation indépendantiste au début des années 1990, déclarant la fondation de la République du Somaliland sur la partie nord du pays.

Commentaires

  1. aujourd'hui 27 septembre , anniversaire de l'attentat du café de PARIS , souvenir encore douloureux pour certains.
    Pensées pour Olivier N et sa famille.
    Signé une victime.

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  2. la saisine de la cour pénale internationale est imminente pour ces agissemnt criminels.
    les responsables de ces actes de torture, de barbarie et d'assassinat pouvant être assimilé à un génocide et susceptible de donner lieu à une enquête de la part du tribunal pénal international afin que les responsable soient traduit en justice international. Ce jour est très proche.

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