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Interview exclusif avec Cassim Ahmed Dini

cassim a diniCeci est une reprise d'un article publié dans Djiboutii.net  
La campagne de l’USN va bon train. La plupart des leaders de l’opposition sont de la partie et leurs visages passent devant les caméras. Tous? Non! Parmi ces « absents » figure Cassim Ahmed Dini qui est pourtant à Djibouti et que nous avons pu retrouver. Pour des raisons techniques indépendantes de notre volonté, la qualité de la conversation téléphonique laissait à désirer. Nous avons donc demandé à Cassim de nous envoyer ses réponses par écrit. Nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin. Nous essaierons de retrouver les autres absents dans le but de présenter la réalité de ces élections sous toutes leurs coutures.


Voici la transcription de cet interview avec Cassim Ahmed Dini.

1. Vous êtes au pays mais on ne vous voit pas ces temps-ci malgré le moment historique, qu’est-ce qui se passe?
Je suis effectivement de retour au pays, après quelques mois de d’absence. Quant au fait que l’on ne me voit pas ces temps-ci, disons qu’il n’est pas nécessaire de crever les écrans de la RTD pour être efficace ou utile: je ne suis pas convoqué par le régime pour jouer au figurant dans son grand spectacle de l’illusion démocratique qu’est à mes yeux le scrutin du 22 février prochain. D’où la question que je vous pose à mon tour, pour être sûr de bien nous comprendre: en quoi vivons-nous un «moment historique»?

2. Eh bien, dans le fait que l’opposition s’unisse et propose en commun des candidats et des candidates, dont des militants de longue date de l’ARD. Qu’en dites-vous?

«Les personnes ne nous intéressent que pour ce qu’elles personnifient» disait Marx. Il n’y a donc pas lieu de parler ici outre mesure des candidates et des candidats, la polémique sur les conditions scandaleuses de désignation de certains d’entre eux est suffisamment assourdissante dans le pays. Pour ce qui est précisément des candidats de l’ARD, aucune instance du Parti ne les désignés: c’est simple, cela fait trois mois que les responsables fuient systématiquement toutes les réunions auxquelles ils sont convoqués par les militants pour s’expliquer sur leur participation sans aucun mandat, ni sur l’absence des conditions minimales de transparence. Depuis longtemps désavoués par la majorité des militantes et des militants, ils trouveront refuge à l’Assemblée Nationale (au moins pour deux d’entre eux) évitant ainsi la « plèbe carnassière » osant leur demander des comptes sur la léthargie imposée au Parti depuis quelque temps. Enfin, il ne m’appartient pas de porter un quelconque jugement concernant la participation des autres formations politiques à ces « élections ».

3. Que pensez-vous du nouveau mode de scrutin des législatives de 2013? On parle d’ouverture…

Dans ce cas, il s’agit d’une ouverture sur le néant car, j’exclue pour ma part toute victoire de l’opposition du fait de la fraude que rien ne peut contrer, sauf des manifestations populaires. On y reviendra si vous le voulez bien, mais commençons par la nouveauté, c’est-à-dire la petite dose de proportionnelle. Certains y voient l’effet des contraintes multiformes imposées de l’intérieur par le dynamisme de l’opposition et de l’extérieur par les pressions des bailleurs de fonds: c’est selon moi confondre l’analyse politique et l’interprétation des rêves! C’est plutôt un cadeau, qui plus est empoisonné. Quand un régime assure une totale impunité à des criminels de guerre qui se retrouvent sur une liste de candidats à la députation grâce à un casier judiciaire miraculeusement vierge, quand le meurtre d’un collégien ne donne lieu à aucune enquête ni inculpation, il me paraît indécent de parler d’une quelconque contrainte. Permettre à une poignée de députés autres que ceux regroupés sous la bannière de la coalition au pouvoir d’entrer à l’Assemblée Nationale, c’est tout d’abord une entreprise de neutralisation des formes concurrentes d’expression contestataire car, un député, ça se prend forcément au sérieux. Il est là pour atténuer la violence des revendications et tribaliser la représentation nationale. La prise de parole devant ses collègues lui permet également de sortir du néant par la vertu d’une audibilité uniquement consentie par un régime monopolisant tous les médias publics et interdisant la création de radios privées. Car n’oublions que nous sommes dans une société essentiellement de tradition orale: «untel a dit» a plus d’impact qu’ «untel a écrit».

Mais la véritable nouveauté introduite par cette dose de proportionnelle est normalement l’incertitude relative dans les quotas ethniques et tribaux. Ce n’est pas un simple retard d’ordre technique qui a empêché la publication, dans les délais légaux, de la liste des candidats UMP dans les six circonscriptions électorales du pays: il fallait l’adapter en fonction des sièges d’avance réservés aux deux autres en lice. Dont la liste de ce «fou du roi» qu’est le CDU: si deux sièges lui sont accordés à Djibouti-ville, ce sera un coup de tonnerre pour la véritable opposition.

Last but not the least, cette dose de proportionnelle répond à un impératif politique très précis: assurer la survie de cette dictature en provoquant une coupure irrémédiable, au sein de chaque parti, entre le sommet et la base, entre les dirigeants et les militants. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe à l’ARD, véritable maillon faible de l’USN, comme l’a démontré le fiasco retentissant de son déplacement à Obock mercredi 13 février, où aucune concertation n’a non plus eu lieu quant à l’opportunité de participer à ces législatives. En clair, le régime a besoin de partis politiques devenus des coquilles vides, où les militants deviendront progressivement des adeptes fidélisés grâce aux ressources mises à la disposition des députés-gourous par le parti au pouvoir. Faire entrer des députés de l’opposition, et plus particulièrement ceux de l’ARD acceptant de ce fait, malgré toutes les indignations morales, d’enterrer l’accord de paix du 12 mai 2001, donc de mettre en sourdine les causes profondes du conflit armé, c’est le meilleur moyen d’empêcher le fonctionnement démocratique d’un parti. Souvenez-vous de ce qui est arrivé au parti FRUD qui n’existe aujourd’hui que sur le papier, faute d’avoir pu répondre aux attentes de ses militants, en termes de rétribution matérielle (emplois, promotions ou marchés) ou symbolique (la satisfaction d’avoir servi une Cause ayant justifié tant de sacrifices). En définitive, dans les conditions actuelles, c’est-à-dire tant que perdurera la fraude électorale inhérente à la nature de cette dictature sortie des urnes, et considérant l’impact du flux migratoire et du déni de citoyenneté, l’introduction de la proportionnelle et l’entrée de quelques députés de l’opposition à l’Assemblée Nationale, constitueront avant tout une caution démocratique pour le régime. Malheureusement, il semble qu’il y ait là-dessus un accord tacite au sein de toute la classe politique djiboutienne: au cadeau du pouvoir en place, qu’est cette proportionnelle, répond comme en écho du côté de l’opposition l’acceptation anticipée, j’allais dire programmée, de perdre ces élections. Pour qui doute encore que le scrutin du 22 février n’est qu’un alibi, ou un train en cachant un autre, il suffit d’observer la position dominante dans la prise de parole d’orateurs qui ne sont pas candidats ou qui ont des ambitions de destin bien plus exceptionnel: faites un sondage et vous verrez que n’importe qui veut devenir député parce que n’importe qui peut devenir député par la seule volonté du dictateur car, en fin de compte, c’est bien lui qui se choisit ses «représentants du Peuple».

4. Justement, certains candidats ont été écartés de la course à cause de leur double nationalité. Qu’en pensez-vous?

Question très intéressante, dont la réponse tient selon moi en une formule: double nationalité et double langage. Il est vraiment scandaleux de promettre la victoire à des législatives auxquelles on refuse soi-même de prendre part en acceptant d’abandonner l’autre nationalité. Prétendre se réserver pour la prochaine élection présidentielle est encore plus indécent puisque, député comme président de la République procèdent de la même légitimité populaire. Comment peut-on appeler ses concitoyens aux urnes pour des élections auxquelles on refuse de participer pour se garantir la douillette sécurité de la double nationalité? Un leader doit d’abord donner l’exemple: victoire ou pas, il n’a pas à hésiter et doit abandonner l’autre nationalité. Le plus regrettable dans cette affaire, c’est que cela risque de servir d’argument aux concurrents, à moins qu’ils ne choisissent de jeter un voile pudique sur cette duplicité: soit ces binationaux ignoraient l’existence de cette loi, en vigueur depuis des années et ce serait la preuve d’un amateurisme irresponsable, soit ils ont préféré ne pas sacrifier ce privilège et cette sécurité, et ce serait de l’indignité.

5. Quelles sont les dernières nouvelles du pays?

Plus qu’un mécontentement, nos compatriotes expriment majoritairement un dégoût du système en place. Le désir de changement est extrêmement fort, impérieux. Objectivement, les conditions sont là pour une alternance démocratique. Sauf que nous ne sommes pas en démocratie! Et le culte de la personnalité (comme s’il s’agissait d’une élection présidentielle anticipée) ne peut tenir lieu de programme de gouvernement.
Mais l’événement, qui a volé la vedette à l’opposition traditionnelle, c’est le ralliement du RADD, expression d’une société civile écœurée du système en place; même si certains s’interrogent sur ses réelles intentions (cheval de Troie?).

La victoire de l’alliance au pouvoir étant inévitable du fait de la fraude, la seule inconnue de ce scrutin réside dans la détermination de l’opposition à imposer sa légitimité populaire et le rejet flagrant du système. En cas de confrontation, s’ouvrirait alors une période lourde d’incertitude pour laquelle le dictateur semble s’être préparé discrètement en rapatriant des officiers de son armée. A moins qu’il ne s’agisse d’un bluff du style de De Gaulle visitant le général Massu à Baden-Baden au plus fort des événements de Mai 68, comme pour faire planer la menace d’une intervention militaire pour restaurer l’ordre public.

En définitive, c’est le Peuple et lui seul qui déterminera l’issue de ces (ses) législatives: comme lors de la prise de la Bastille (de même qu’en Tunisie et en Égypte récemment), nul besoin de leaders célèbres ou autoproclamé pour mener une révolution. Chacun pense avoir sa petite idée sur la capacité du nôtre à pouvoir déterminer son propre destin, mais n’anticipons pas.

6. Revenons à vous… Certains disent que vous avez quitté le navire ARD. Est-ce vrai?

  • Décidément, encore moi? Bouclons la boucle alors. Vous souvenez-vous du naufrage en février 2006 du bateau égyptien «Al-Salam Boccaccio» qui a fait des centaines de victimes? Ce qui avait le plus choqué, c’était le comportement lâche et irresponsable de l’équipage qui a quitté le navire avant les passagers, abandonnant ces derniers à leur sort tragique. Et quand un équipage en fuite invite à prendre place dans son canot de sauvetage quelques privilégiés (candidats et suppléants) choisis sur des critères de proximité familiale, tribale ou amicale, il faut presque de l’héroïsme pour résister à la tentation: c’est la facilité du conformisme logique. C’est ce qui s’est passé à l’ARD, sauf qu’il s’agit ici d’un naufrage dû à l’incompétence de la Direction. Effectivement, le bateau ARD est en train de couler à cause de l’absence de toute stratégie politique, vide concrétisé par une totale destruction des structures organisationnelles et par l’accaparement des pouvoirs entre les mains de trois ou quatre «responsables» que j’appelle tendrement «les Dalton de l’ARD». Lesquels, au lieu de procéder à un bilan autocritique dans le cadre d’un congrès qu’ils ont empêché de se tenir, ont préféré se réfugier dans un jeu électoral truqué pour ne pas avoir à affronter des militants auprès desquels ils sont majoritairement discrédités. Le drame, c’est que la panique règne au sein des passagers (les militants) tellement déboussolés. C’est simple: au lieu d’un mot d’ordre de combat, le slogan en vigueur actuellement à l’ARD est «ASTOR», que l’on peut traduire par «cacher la honte» qu’est la participation à ces élections.

    Bref, pour mettre un terme à cette rumeur, distillée aussi bien par le régime que par les naufrageurs du Parti, je ne quitterai jamais l’ARD!

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